Aimé Césaire
Célébré au Panthéon, Aimé Césaire demeure un rebelle irrécupérable
LE MONDE | 05.04.2011 à 13h44 • Mis à jour le 07.04.2011 à 10h48
Le 6 avril 2011, Aimé Césaire entre au Panthéon, où reposent les "grands hommes" de la France. Désormais, les visiteurs auront l'occasion de rencontrer, rassemblées dans une même crypte, des figures associées aux combats contre l'esclavagisme et le colonialisme : Toussaint Louverture, Victor Schoelcher et Aimé Césaire.
Ces combats ont contribué à l'universalité des droits de l'homme et aux idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité.
Poète, dramaturge, écrivain, homme politique, né dans une colonie française, la Martinique, porteur d'une loi qui fit des colonies post-esclavagistes des départements d'outre-mer, incessant combattant pour la dignité et l'égalité, et qui voulut rester toute sa vie un rebelle, un Libre, Césaire fut un acteur de son siècle.
"Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ; mon état : révolté ; mon âge : l'âge de pierre. Ma race : la race humaine. Ma religion : la fraternité." résume de manière lapidaire la pensée d'Aimé Césaire.
"Ma poésie parle pour moi", a-t-il souvent déclaré, pour couper court à toute discussion sur ses opinions, las de s'être si souvent expliqué et d'avoir été trop souvent si mal compris.
Relire Césaire, c'est entrer dans une pensée qui questionne une écriture de l'histoire qui s'énonce depuis l'Europe, une cartographie du monde qui s'ordonne sur un axe Nord-Sud ; une pensée qui pose la colonisation comme un des moments constitutifs de notre monde, car "la colonisation n'est pas un chapitre de cette histoire, mais au contraire quelque chose de fondamental".
La notion de mission civilisatrice est impossible à défendre, car, "de la colonisation à la civilisation, la distance est infinie", aucune "valeur humaine" ne s'y enracine. Le contact se fait en dehors, en marge, dans la résistance à l'ordre esclavagiste et colonial. Car cet ordre est aussi mortifère, il inculque "la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme" et la "lèpre hideuse des contrefaçons".
Il dénonce un "monde fermé, étroit" et défend avec fougue l'aspiration à la dignité des colonisés et de leurs descendants.
Ainsi, dès 1948, il fait le procès d'un Etat qui refuse d'appliquer ses propres lois : "Nous avons demandé l'assimilation des droits de l'homme et du citoyen. Celle que vous nous offrez, c'est celle de la matraque et des gardes mobiles."
Césaire a fait des expériences qu'il a vécues - héritages de l'esclavage, colonialisme, nazisme, décolonisation, règne du capitalisme financier, repli sur soi, émergence de nouvelles "identités meurtrières", nouvelles cartographies des luttes - le terrain de ses réflexions. Le nazisme est, pour lui, "la barbarie suprême, (celle qui) résume la quotidienneté des barbaries", un "poison instillé dans les veines de l'Europe", mais qui est le retour sur son propre sol d'une barbarie pratiquée au loin, dans les colonies.
Nous trouvons dans la lecture de l'oeuvre d'Aimé Césaire une réflexion qui nous aide à penser notre temps, une époque où de nouvelles formes de brutalité, de nouvelles formes d'esclavage nous obligent à entreprendre une véritable révolution des esprits.
On ne saurait nier la formidable modernité de l'oeuvre anticolonialiste d'Aimé Césaire, qui est une constante réfutation d'une notion figée de l'identité nationale ou d'un récit historique eurocentré.
Il nous laisse en héritage le souci de l'écriture de l'histoire des anonymes, des disparus du monde non européen et ces mots d'ordre simples et justes : "Lutte pour la justice ; lutte pour la culture ; lutte pour la dignité et la liberté."
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